Comment exterminer?
La conférence est un film sorti récemment. L’histoire se passe en 1942 sur le lac de Wannsee. Une dizaine d’hommes se réunissent pour statuer sur la façon d’éliminer 11 millions de juifs. Comme il s’agit d’hommes, cela ne peut pas laisser indifférent ceux qui porte la virilité comme une chose bénéfique. Masculinité toxique ou bien autre chose?
Nous avons donc une conférence dont vous trouverez dans l’article wikipedia tous les détails. Ce qui va m’intéresser ici c’est la méthode et la motivation. Face à face nous avons deux types d’hommes:
- Le premier regroupe des militaires de la SS qui peuvent être répartis en trois groupes:
- Les carriéristes qui veulent réussir
- Les exaltés mystiques qui veulent la réalisation de leur idéal
- Les logisticiens qui veulent résoudre leurs problèmes de gestion notamment des ghettos
- De l’autre côté de la table il y a des civils:
- D’une part des juristes qui veulent la stabilité de la société
- D’autre part des financiers qui veulent que cela ne coûte pas trop cher voire que ça rapporte un peu
Pour analyser cela nous pouvons nous référer aux notes de réunion qui furent pris par Mlle Ingeburg Werlemann, secrétaire de Eichmann, les travaux de la philosophe juive Hannah Arendt sur la banalité du mal, et l’excellent livre de Johann Chapoutot “Libres d’obéïr, le management du nazisme à aujourd’hui” qui explique combien le sujet est d’actualité.
Dès le départ de la conférence, il n’est pas question de dire que les juifs seraient des citoyens comme les autres. Mais les civils argumentent sur une base légale, économique et historique:
- Il existe déjà un cadre légal définissant le statut notamment des demi ou quart de juif. Il serait dangereux socialement de le remettre en cause. Pour les juristes, le sang allemand prime et annule ou atténue l’ascendance juive
- Il existe des militaires de la guerre de 14 qui sont juifs et médaillés. “à l’époque on ne faisait pas la différence” dit un des participants ancien combattant des tranchés. Pour lui, l’engament militaire prime sur l’ascendance juive
- Se priver de personnes qualifiées sous le prétexte qu’elle fussent juives est économiquement stupide dans le cadre de l’effort de guerre
Les opposants vont contre argumenter sur la base suivante:
- Bien que le travail fut dur et sale, il appartient à leur “glorieuse génération” de faire cet ouvrage, même si cela conduit à leur damnation, cela leur sera plus tard mis à leur crédit
- Les mystiques considèrent l’éradication des juifs comme un devoir sacré “pour le bien des générations futures”. Le sacrifice du moment pour le bonheur de descendants pas encore nés se retrouve dans de nombreuses religions ou dogmes comme l’écologie politique ou le communisme
- Les logisticiens argumentent qu’ils sont de moins en moins capables de gérer des ghettos (les camps de concentration n’existent pas vraiment encore)
Les deux camps finissent par s’accorder sur trois contraintes:
- Ne pas exposer les jeunes à l’horreur de devoir procéder au meurtre non pas pour des raisons éthiques mais parce qu’ils ont peur qu’une fois démobilisés ils deviennent socialement dangereux
- Ne pas créer de troubles sociaux en tuant des proches d’allemands
- Ne pas pénaliser l’économie du pays
Pour l’emporter, le second camp va opposer le principe décrit par Chapoutot et qui sous-tend le management nazi: Hitler veut, alors ils doivent trouver des solutions par délégation. Il n’y a à la conférence que des seconds couteaux. Cette méthode, très moderne, a été développée par un Nazi inconnu appelé Höhn. Il a, après la guerre ,formé l’intégralité du management allemand, notamment chez Lidl, BMW. Sa méthode est le management par délégation de responsabilité. Le chef pense et évoque ses désirs. L’exécutant zélé trouve les solutions pratiques. Il n’est donc pas responsable et peut laisser aller son imagination. L’exécutant exemplaire devient rapidement un exécuteur exemplaire. Chapoutot écrit:
Étonnante modernité nazie : l’heure n’est pas encore aux baby-foot, aux cours de yoga ni aux chief happiness officers, mais le principe et l’esprit sont bien les mêmes.
Chapoutot, Johann. Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd'hui (French Edition) (p. 74). Editions Gallimard. Édition du Kindle.
Car vous l’avez compris avant d’être des hommes et d’en appeler au masculin toxique, ces gars-là sont avant tout des fonctionnaires. Et un fonctionnaire, c’est fait pour fonctionner. Les horribles nazis étaient comptables, presque tous avaient des doctorats. C’est cela qui interpelle Arendt. Le mal ne vient pas des mauvais, mais des gens les plus ordinaires, bien managés.
Moi, la personne qui m’a fait le plus peur n’est pas parmi ces hommes. C’est la secrétaire, Ingeburg Werlemann. “Cela vous dérange?” “Non, voulez-vous un café.” Après la guerre les femmes ne furent pas inquiétées. Mais la protection des générations futures, la motivation des exactions, cela commence à se savoir. Il y a eu un reportage sur Arte. “Allez-y les gars”. Ce n’est pas parce que vous faites juste les gâteaux que vous n’êtes pas assassins comme les autres.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Conférence_de_Wannsee
Chapoutot, Johann. Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd'hui (French Edition) (p. 74). Editions Gallimard.
Hannah Arendt (auteur) (trad. Anne Guérin, préf. Michelle-Irène Brudny de Launay), Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal [« Eichmann in Jerusalem »], Paris, éditions Gallimard, coll. « Folio Histoire » (no 32), 1991, 484 p
Reinhard Höhn, le général nazi devenu théoricien du management
https://www.radiofrance.fr/franceculture/reinhard-hoehn-le-general-nazi-devenu-theoricien-du-management-2920656
Comment Aldi harcelait ses employés Obéissance et soumission : le principe avec lequel Aldi a longtemps géré ses filiales françaises a été imaginé autrefois par l'ancienne figure du nazisme Reinhard Höhn.
https://www.spiegel.de/wirtschaft/unternehmen/wie-aldi-seine-mitarbeiter-drangsalierte-mit-methoden-eines-altnazis-a-c0a96977-0002-0001-0000-000176982999